Fustiger n’est pas jouer !

En matière de vocabulaire, comme en bien d’autres domaines, il existe des modes.
Selon votre millésime, par exemple, vous avez été à des booms, des sur-boums, des fêtes, des teufs, des surpat’, des raouts, des noubas, des bamboches, des surprises-party, des ribouldingues….
La langue française à cela d’exceptionnel qu’elle nous offre une quantité quasi illimitée de synonymes puisqu’elle en invente tous les jours. Voire, elle recycle d’anciennes tournures oubliées qu’elle remet à la mode, parfois sans même que ses locuteurs ne s’en rendent compte. Peu de jeunes gens savent que Gavroche, déjà, appelait ses parents des « darons ».

Du coup, quand je revois un mot tourner en boucle dans la presse, je suis … comment appeler ça…. un peu contrariée, voire légèrement horripilée.

Vous pouvez vous amuser à faire l’expérience vous même, j’ai trouvé, pour la seule semaine dernière, dans la presse francophone, pas moins de 10 pages d’occurrences du verbe « fustiger ». En s’intéressant uniquement à la presse française écrite, mon moteur de recherche préféré me confirme qu’on s’est évertué, pendant la semaine qui vient de s’écouler, à beaucoup fustiger.

fustiger les propositions
fustiger la politique mise en place
fustiger l’action du chef de l’État
fustiger le gouvernement
fustiger la frilosité des équipes adverses
fustiger Emmanuel Macron
fustiger le bilan de son prédécesseur
fustiger un oubli
fustiger le fait que « Brice Hortefeux fait des petites phrases » (sic)
fustiger Donald Trump
fustiger la phrase originelle de Charles de Gaulle.
fustiger les travers de ses contemporains.
fustiger les propositions sécuritaires de droite
fustiger l’individualisme de nos sociétés capitalistes
fustiger « l’ouverture » à gauche
fustiger le monde de l’argent.
fustiger le système politico-médiatique
fustiger la paresse des entreprises
fustiger un « processus verrouillé »
fustiger ceux qui « critiquent la guerre d’indépendance »
fustiger les hérauts d’une gauche puérile
fustiger le mépris de l’ancienne première dame

(liste non exhaustive)

On fustige furieusement en ce moment et on fustige n’importe quoi. Enfin, quand je dis « on », vous remarquerez qu’aucun auteur de ces fustigations n’a prononcé ce verbe.
Il semble que nos amis journalistes soient en ce moment victime d’une grave épidémie de reproduction lexicale.

Mais au fait, ça sort d’où, ça, « fustiger » ? Comme nous l’apprend l’excellent Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) c’est un verbe qui a été forgé au XVe siècle à partir d’un mot de bas latin « fustigare » qui signifie à proprement parler « fouetter », ou « donner des coups de bâton ». Au figuré, « fustiger », ça peut être soit une façon de critiquer sévèrement, ou bien de « se donner un coup de fouet » métaphorique.

Je n’ai rien contre le mot, ni contre la chose, mais son emploi répété me fustige les yeux et les tympans (la presse audio-visuelle n’est pas en reste et fustige bien plus que de raison, elle aussi).  Il y a tellement de jolis mots pour le dire : tancer, blâmer, condamner, morigéner, réprouver, désapprouver, sermonner, critiquer, voire anathématiser !

Aujourd’hui encore, dans Le Monde. La fustigation de trop qui m’a poussée à écrire ce billet.
Vous serez prévenu : la prochaine fois que je vous entends ou que je vous vois fustiger quoi que ce soit ou qui que ce soit, je mange un chaton !

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